Joomeo :
On entend régulièrement l’expression “photo corporate” ou “photo d’entreprise”. Globalement, on comprend de quoi il s’agit. Il est question de capturer des images dans l’enceinte d’un établissement qui développe une activité commerciale. Soit. Nous avons néanmoins demandé à Joëlle Verbrugge de nous en donner une définition un peu plus formelle.
Joëlle Verbrugge :
La photo corporate, ou photo d’entreprise, recouvre toutes les circonstances dans lesquelles un photographe, ou un vidéaste, réalise des images (ou puise dans sa médiathèque) à la demande d’une société, afin de faire la promotion de l’entreprise elle-même, de sa marque ou de ses produits.
En d’autres termes, lorsqu’un photographe cède ses droits en faveur d’une entreprise à des fins de communication ou de promotion, on entre dans le cadre de la “photo corporate”.
Joomeo :
Quelles dimensions du droit à l’image doit-on prendre en considération lorsqu’on fait des photos en entreprise en tant que photographe professionnel ?
Joëlle Verbrugge :
Une fois encore, il est toujours bon de le rappeler, ne confondons pas droit à l’image et droits d’auteur ! Il se trouve que la photo d’entreprise mêlent bien souvent les 2 notions !
En ce qui concerne le droit à l’image, je rappelle qu’il est personnel. Donc, seul l’employé peut donner son autorisation au photographe pour que ce dernier utilise son image pour promouvoir son activité.
Par contre, le salarié peut difficilement s’opposer à la diffusion de son image dans le cadre de la promotion de l’entreprise ou de ses produits s’il a accepté de participer à la séance photo.
On vient de faire le point sur le droit à l’image, voyons les droits d’auteur ! En ce qui concerne la cession des droits d’auteur, le contrat doit clairement définir :
- son objet (quelles images sont concernées par le contrat),
- son étendue territoriale,
- sa durée,
- et les supports utilisés.
Si internet est le support de diffusion choisi pour la campagne de communication du client, alors l’étendue des droits sera nécessairement mondiale. Pour une campagne d’affichage 4×3, alors le contrat devra mentionner le territoire géographique concerné (la ville, le département, la région, le pays…).
Dans tous les cas, une cession de droits est limitée dans le temps. On l’a déjà dit dans de précédentes capsules à propos du droit à l’image.
Le contrat doit très précisément déterminer tous ces points qui impactent forcément le prix de la prestation.
Joomeo :
Dans la mesure où les photos et/ou les vidéos sont prises au sein de son entreprise, qu’il s’agit des produits de son catalogue et que les personnes photographiées ou filmées font partie de son effectif, le client peut-il exiger l’exclusivité sur les droits de diffusion des images et quelles sont les dispositions à prendre en termes de droit à l’image ?
Joëlle Verbrugge :
En ce qui concerne les photos dans lesquelles des personnes de l’entreprise apparaissent et sont reconnaissables, le photographe serait bien mal avisé d’utiliser ces clichés en dehors du contrat qu’il a conclu avec l’entreprise ou de les céder à un autre client. Principalement parce qu’il se mettrait en grande difficulté vis-à-vis du droit à l’image des salariés visibles sur les clichés.
En ce qui concerne les photos de produits, le contrat peut prévoir des clauses d’exclusivité plus ou moins étendues. Ainsi, on peut demander au photographe de rester discret sur les photos qu’il a faites avant que le produit ne sorte. On peut parfaitement comprendre ce point lorsque des notions d’innovation sont en jeu par exemple. Mais certains contrats, notamment dans le domaine du luxe, vont plus loin. Jusqu’à interdire purement et simplement au photographe de dire qu’il est l’auteur des images. Dans les cas les plus extrêmes, les marques refusent de créditer les auteurs sur les photos !
Après tout, pourquoi pas ! Mais le photographe doit en être conscient. Et le contrat signé entre les deux parties doit le stipuler clairement.
Si le photographe souhaite vendre les droits sur des photos de produits réalisées pour un client à une autre société, il entre dans une démarche très risquée. A mon sens, il s’agirait d’une “exécution de mauvaise foi” du contrat.
Il risque de déclencher des poursuites en cascade de la part du premier client. D’abord à son encontre, parce qu’il a revendu les droits d’une image à un tiers concurrent. Ensuite à l’encontre du tiers en question pour “parasitisme économique”. En effet, ce dernier bénéficierait des mêmes services que le premier client, mais à des tarifs plus avantageux (exit les frais de déplacement, de mise à disposition des locaux et d’éventuels personnels, etc.)
Plus largement, sans dire qu’un photographe ne devrait pas pouvoir travailler pour des sociétés concurrentes, je conseillerais à ceux qui le font de prendre toutes les dispositions afin d’éviter que le shooting de l’une soit trop ressemblant à celui de l’autre.
Au-delà de la simple crédibilité en tant que photographe, légalement on doit pouvoir distinguer deux shootings faits sur une même paire de chaussures par exemple. Aucune confusion ne doit être possible entre les prestations réalisées pour deux clients différents.
Joomeo :
L’employeur a-t-il l’obligation d’informer ses collaborateurs de l’organisation d’une séance photo dans l’enceinte de l’entreprise ? Peuvent-ils refuser de venir travailler ce jour-là ?
Joëlle Verbrugge :
Cette question entre plus dans le cadre du droit du travail que de celui du droit à l’image !
Le droit du travail indique que, lorsque des images sont captées dans l’enceinte de l’entreprise, y compris pour des vidéos de surveillance, tous les collaborateurs doivent en être informés.
En droit à l’image, je n’ai vu aucune jurisprudence sur le sujet. Rien n’indique que l’employeur doit avertir ses employés qu’une séance photo aura lieu. Néanmoins, j’aurais tendance à dire que c’est du bon sens et faire du droit n’exclue pas d’avoir du bon sens ! Donc, mieux vaut prévenir les employés qu’un photographe est invité à faire des prises de vues. Surtout s’ils sont susceptibles d’être photographiés.
Quant à savoir si un salarié peut refuser de venir travailler sous prétexte qu’il ne souhaite pas être pris en photo ou en vidéo, sincèrement, l’excuse n’est pas recevable. Par contre, il peut parfaitement refuser de participer à la séance et d’apparaître sur les photos.
Joomeo :
En tant que salarié, peut-on s’opposer à la diffusion (interne et/ou externe) d’une image sur laquelle on apparaît ? D’autre part, peut-on accorder des droits de diffusions différenciés en fonction du mode de diffusion ?
Joëlle Verbrugge :
A l’heure actuelle, la jurisprudence est relativement stable sur ce point. Le salarié ne peut pas interdire la diffusion d’une image sur laquelle il apparaît dans le cadre de la promotion de l’entreprise qui l’emploie.
Attention, la jurisprudence n’évoque que le cas où on publie la photo/vidéo dans le but de communiquer sur la société. Elle ne s’applique pas dans le cadre de produits destinés à la vente pour lesquels la plus-value réside dans l’image (posters, cartes postales, etc.).
Je n’ai jamais entendu parler de restriction possible quant au mode de diffusion de l’image. Lorsqu’on accorde un droit de diffusion, on le fait pour l’ensemble des canaux de communication de l’entreprise.
Je n’ai pas encore vu de situation dans laquelle des salariés tentaient de limiter la diffusion sur certains canaux de communication et pas d’autres. Généralement, lorsqu’il y a un litige, il porte sur l’ensemble des supports de diffusion utilisés par la société.
Dans la majorité des cas, si les images sont correctement utilisées par l’employeur (prises dans l’enceinte du travail, pour illustrer l’activité de l’entreprise), les magistrats considèrent que ce dernier est parfaitement dans son droit et il n’y a pas de condamnation.
Néanmoins, la question se pose différemment lorsque l’employé part de l’entreprise. Alors, cette dernière est dans l’obligation de retirer toutes les photos sur lesquelles il apparaît de ces médias ! Quelles que soient les raisons de son départ.
C’est bien souvent là que les problèmes commencent en définitive. L’ex-salarié se rend compte qu’il apparaît de façon très reconnaissable sur le site internet, dans un clip vidéo ou sur des flyers de l’entreprise qu’il a quitté deux ans plus tôt, parfois dans des termes un peu houleux… le litige arrive !
Là encore, la jurisprudence est très claire. L’ex-salarié est parfaitement légitime à exiger le retrait immédiat de toutes les images sur lesquelles il apparaît. Dès le moment où le salarié quitte l’entreprise, il faut arrêter d’utiliser son image.
Cela vaut aussi pour des associés qui se séparent. En résumé, dès qu’il n’y a plus de lien contractuel entre les parties, l’entreprise doit cesser d’utiliser l’image de la personne. Sauf si un contrat dit le contraire…
Joomeo :
Toutes les séparations ne se font pas dans la douleur ! L’ex-employé peut-il autoriser son ancien employeur à continuer d’utiliser son image même après son départ ?
Joëlle Verbrugge :
Bien sûr ! Mais il faut bien acter cette autorisation par écrit et préciser une limite temporelle. Evidemment, elle pourra se voir prolongée si les deux parties sont d’accord. Mais il est primordial que la cession des droits à l’image de l’ex-employé ait une fin enregistrée.
En réalité, cette limite temporelle protège autant l’employeur que l’ex-employé. En effet, sans elle, l’ex-employé peut demander un retrait immédiat et sans préavis de tous les supports de communication dans lesquels il apparaît !
En ajoutant une date de fin de cession de droit à l’image, l’employeur pourra, quoi qu’il arrive, continuer d’utiliser les images de son ex-employé jusqu’à la date de fin inscrite dans le contrat.
Le problème est généralement assez peu sensible lorsque la plainte concerne un salarié “anonyme”. La situation s’avère souvent beaucoup plus compliquée lorsqu’il s’agit d’une personne à forte notoriété.
Imaginons par exemple un chef cuisinier très connu qui partirait d’un établissement pour rejoindre un restaurant concurrent. Le deuxième établissement ne pourrait accepter que le premier continu de communiquer avec l’image de son nouvel employé pour surfer sur sa renommée. Le manque à gagner serait inacceptable.
Il faut bien avouer que je n’ai jamais connu cette situation. Elle est contractuellement possible mais en pratique, ça ne se fait pas…
Joomeo :
Un salarié peut-il demander une rémunération ou un dédommagement pour autoriser l’utilisation d’une image sur laquelle il apparaît dans les supports de communication de son entreprise ?
Joëlle Verbrugge :
Théoriquement, rien n’empêche au salarié de faire la demande et à l’employeur de l’accepter. Mais, très honnêtement, je n’ai jamais vu cette situation. Tout simplement parce que, comme on l’a vu un peu plut tôt, l’employeur peut utiliser toutes les images d’un shooting en entreprise pour sa communication sans qu’une autorisation de l’employé soit nécessaire.
C’est la situation qu’a vécue un employé de Décathlon. Un jour, l’équipe de communication avait organisé une séance photo au sein de l’entreprise. La direction en avait informé les salariés. Suite à cette séance, l’employé en question a retrouvé une des photos sur lesquelles il apparaissait sur le packaging d’un des produits de la marque. Il a demandé que l’on retire l’image de l’ensemble des packagings. Le juge a tout simplement débouté l’ex collaborateur de sa demande. En effet, il a estimé que le salarié en question avait été suffisamment informé et qu’il avait participé activement (et de son plein gré) au shooting !
Donc, même lorsqu’il s’agit d’apparaître sur des packagings, dans le cadre de la photo corporate, la notion de droit à l’image des salariés a finalement peu d’impact. En tous cas, la marge de négociation s’annonce réduite pour les collaborateurs qui souhaitent être dédommagés pour l’utilisation de leur image.
Seul le départ du salarié peut obligé l’employeur à supprimer l’ensemble des photos et vidéos le représentant dans ses canaux de communication. Mais il est bien évident que, dans le cas de packaging de produits, on ne peut pas exiger d’une marque qu’elle détruise tous ses emballages sous prétexte qu’une des personnes sur les photos ne fait plus partie de l’entreprise. Ce serait un abus de droit car le préjudice pour l’entreprise serait supérieur aux gains potentiels du plaignant.
Néanmoins, une fois le stock d’emballages écoulé, la production des suivants devra supprimer ou flouter toutes les photos sur lesquelles apparaissent l’ex-salarié.
Joomeo :
Intervenir en tant que photographe au sein d’un atelier de production peut représenter un certain nombre de risques, corporels et matériels, quelles sont les précautions à prendre, en termes d’assurance, pour couvrir ou prévenir ces risques ?
Joëlle Verbrugge :
Avant tout, un photographe professionnel se doit d’avoir une assurance de responsabilité civile. C’est une évidence. Elle le couvre en cas de dommage sur une machine ou un accident avec une personne dont il serait responsable sur le lieu du shooting.
Une autre précaution que je conseille de prendre consiste à préciser dans le contrat que, si la séance photo exige le maniement de matériel, d’outils ou de produits particulièrement délicats, le photographe doit être accompagné d’au moins un collaborateur de l’entreprise qui se chargera de faire les manipulations.
Le photographe est là pour prendre des photos et ne devrait se servir que de son appareil !
S’il respecte cette règle, on ne peut pas tenir le photographe pour responsable des dégâts causés en cas d’accident.
Joomeo :
En cas d’accident, comment détermine-t-on les responsabilités de chacun ?
Joëlle Verbrugge :
Très clairement, comme je le disais juste avant, si le photographe n’est pas intervenu dans la manipulation de la machine ou du produit, il ne peut être considéré comme responsable des dégâts matériels ou humains.
Évidemment, si au bord d’un trou, le photographe demande à son sujet de reculer ou de se déplacer jusqu’à ce que le salarié tombe et se blesse, sa responsabilité sera engagée ! Là encore, il s’agit d’une question de bon sens. Les circonstances de l’accident déterminent le degré de responsabilité de chacun et chaque situation est unique.
Mais attention, si le photographe demande à un salarié de se mettre en danger, il peut le faire sans en être conscient. Il ne connait pas les risques inhérents à telle machine ou à tel produit. On considère que le collaborateur est capable de déterminer les limites au-delà desquelles il doit refuser de répondre aux demandes du prestataire.
C’est tout l’objet des préconisations que j’évoquais un peu plus tôt. En exigeant dans son contrat la présence d’une personne de l’entreprise en charge des manipulations de tous les produits et outils lors de la séance photo, le photographe se libère de toute responsabilité.
D’autre part, je préconise de prendre régulièrement des photos de type “making off”, dans lesquelles on voit clairement qui était présent au cours de la séance. En cas de litige, cela permettra de prouver que le photographe n’était pas seul au moment de l’accident et qu’il n’est pas l’auteur de la mauvaise manipulation.
De plus, suite à un accident, je conseille vivement de faire des photos très rapidement de manière à documenter, sur le vif, les circonstances du problème et les personnes en présence.
Joomeo :
Une fois de plus, merci Joëlle pour ces enseignements ! Ce volet était le sixième et dernier de notre série Droit et Photographie.
Nous vous retrouverons probablement dans quelques temps et sous un autre format pour proposer à notre communauté d’autres conseils juridiques en lien avec la photo.
Merci à vous, lecteurs, pour votre fidélité ! Pensez à partager cet article avec vos collègues, proches et amis photographes. Ils seront friands de toutes les informations et conseils qu’il contient !
En savoir plus à propos de la photo corporate
Checklist – photos et films d’entreprise, Joëlle Verbrugge, Éditions 29bis
Les entreprises et la photo : Entre droits d’auteurs et droit à l’image, article en ligne publié sur le site de l’Association Française des Juristes d’entreprise le 04/10/2020
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