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Droit et Photographie : le droit à l’image

Droit à l'image, comment ça marche ?

Savez-vous vraiment ce qu’est le droit à l’image ? Si, comme beaucoup, vous avez un peu de mal à démêler droit à l’image, droits d’auteur et respect de la vie privée, cette nouvelle interview de Joëlle Verbrugge dans notre rubrique Droit et Photographie devrait vous éclaircir les idées. C’est un sujet dense, donc nous avons choisi de le traiter en 3 vidéos de 10 minutes environ pour en faciliter l’approche.

Le droit à l’image est une notion précise. On peut parfois la confondre avec les droits d’auteur ou la protection de la vie privée. On a tord…

Il s’agit en réalité de donner la capacité à chacun de disposer de son image et d’en contrôler la diffusion.

Un exemple récent vient illustrer notre propos. En août 2021 aux États Unis, Spencer Elden a intenté un procès aux membres du groupe Nirvana encore vivants et aux gestionnaires du patrimoine des membres décédés. L’accusation portait sur 2 points :

  • la dimension potentiellement pédopornographique de la photo,
  • et l’absence du consentement du plaignant concernant l’exploitation sexuelle de son image.

Le juge l’a débouté de sa demande en janvier 2022. Notamment parce qu’il avait lui-même utilisé cette image à des fins d’autopromotion. En effet, il a reproduit plusieurs fois la prise de vue originale au cours des dernières années. Le but était de surfer sur la notoriété de cette photo iconique, vue plusieurs milliards de fois partout dans le monde.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette actualité ! Elle touche de nombreux thèmes liés au Droit en photographie comme la photo d’enfant ou les droits d’auteur. Mais, aujourd’hui nous allons nous concentrer sur le droit à l’image.

Nous en avons donné une définition assez succincte un peu plus haut, mais Joëlle Verbrugge, photographe et avocate, va nous en faire une description plus complète.

Joëlle Verbrugge :

Pour faire simple, les droits d’auteur protègent le photographe et ses créations alors que le droit à l’image s’intéresse aux personnes photographiées, lorsqu’elles sont visibles et reconnaissables. Et, si le droit à la protection de la vie privée a pour objectif de défendre l’intimité de chacun, le droit à l’image, lui, permet le contrôle de la diffusion des images de soi, quelles qu’elles soient.

En réalité, le droit à l’image n’existe pas dans les textes de loi français. C’est la jurisprudence qui a construit les fondements de cette disposition. Elle s’appuie sur l’article 9 du code civil qui traite du droit au respect de la vie privée. En d’autres termes, le droit à l’image ne représente qu’une partie infime de la protection de la vie privée… mais elle couvre aussi un champ plus vaste que cette dernière !

D’ailleurs, une même image peut à la fois transgresser le respect de la vie privée d’une personne ET bafouer son droit à l’image…

Ainsi, si un paparazzi divulgue la photo d’une célébrité alors qu’elle se trouve en vacances :

  • l’image atteint le droit au respect de la vie privée de la victime parce qu’elle la montre dans un moment particulier et/ou intime, à un endroit précis, avec telle ou telle personne, sans lien avec son activité publique.
  • La photo enfreint le droit à l’image de la personne parce que cette dernière est reconnaissable et qu’elle est diffusée sans son accord préalable, en dehors du cadre du droit à l’information ou de celui de la liberté d’expression artistique.

Joomeo :

On vient d’aborder un point intéressant concernant les conditions dans lesquelles le droit à l’image est opposable ou non.

Existe-t-il des cas particuliers dans lesquels le droit à l’image se voit restreint pour la personne photographiée ? Notamment lorsqu’il s’agit de personnages publics : dans ce cas, le droit à l’information ne prime-t-il pas ?

Joëlle Verbrugge :

Tous les cas dans lesquels le droit à l’image est invoqué obligent à faire la “balance” entre plusieurs droits qu’on peut qualifier de concurrents : le droit à l’image, le droit à l’information et le droit à la libre expression artistique.

Le juge doit alors déterminer lequel de ces droits prime sur les autres. Précisons tout de suite que le fait d’être un personnage public ne représente pas forcément un élément significatif pour évaluer la situation.

Reprenons notre exemple de la célébrité photographiée sur une plage mexicaine. S’il s’agit d’une actrice qui passe simplement des vacances avec des proches, dans un lieu de son choix en dehors de toute actualité particulière, elle est tout à fait légitime à attaquer un photographe qui vend des images de ces instants intimes pour en faire la publication sur différents médias. Elle pourra le faire à la fois au titre de la violation de sa vie privée ET de son droit à l’image. Il y a de bonne chances que le jugement se fasse en sa faveur.

Par contre, pour nous appuyer sur une actualité récente qui touche tout le monde, si le personnage public photographié est un ministre européen qui prend du bon temps sur une plage mexicaine, en pleine période de Covid, alors que la population de son pays est confinée avec interdiction de sortir du territoire, alors le contexte change tout !

L’image relate une information essentielle en lien direct avec des événements importants qui touchent un public large. Le droit à l’information devrait prendre le pas sur le droit à l’image ou même celui à la vie privée.

Dans ces 2 exemples, le contexte est suffisamment marqué pour que le jugement puisse se faire assez facilement. En réalité, les affaires ne sont pas toutes aussi simples. Bien souvent, une part de subjectivité est inévitable dans le travail du juge. Et oui, la Justice n’est pas une science exacte, elle reste une science humaine !

Comme très souvent, dans le droit à l’image, les juges doivent prendre en considération plusieurs facteurs :

  • Le plaignant est-il clairement reconnaissable au moment où la plainte est déposée ? Dans le cas de la photo du bébé sur la pochette de l’album Nevermind de Nirvana, c’est loin d’être évident par exemple…
  • Dans quel contexte (au sens large) la photo a-t-elle été prise ?
  • Quel est l’objectif de la diffusion de l’image : l’information, la création artistique ou la promotion commerciale ?

Joomeo :

Nous avons déjà vu ensemble, lors de notre précédente interview, qu’en ce qui concerne les mineurs, les autorisations devaient venir des responsables légaux. Donc nous ne nous attarderons pas sur ce point. Mais il existe d’autres circonstances où la question se pose. A qui doit-on demander le droit de diffuser une image lorsque la personne photographiée ou filmée se trouve dans l’incapacité physique ou mentale de donner son consentement éclairé ?

Joëlle Verbrugge :

Lorsqu’on parle d’incapacité physique, il est important de noté que le droit à l’image s’éteint avec la personne. Dans certains cas, les proches de la personne décédée peuvent faire valoir un préjudice d’affliction. Celui-ci s’applique lorsque les plaignants estiment que la diffusion d’une image les affecte en augmentant leur chagrin par exemple.

Même si, objectivement, les règles qui s’appliquent sont très proches, nous ne sommes plus dans le cadre du droit à l’image.

En ce qui concerne les majeurs protégés, ceux soumis à un régime de tutelle ou de curatelle, les articles 500 et suivants du Droit Civil règlent la matière de l’incapacité des majeurs, mais n’évoquent pas la question de leur image.

Ces articles s’avèrent compliqués à mettre en œuvre, d’autant plus qu’ils ne parlent pas vraiment du droit à l’image. Donc, une fois de plus, la jurisprudence nous vient en aide !

Elle établit notamment que, le simple fait de prendre en photo un adulte sous protection ne représente pas forcément une atteinte à sa dignité humaine. Par conséquent, comme pour les personnes saines de corps et d’esprit, le simple fait de prendre en photo un adulte, qu’il soit protégé ou non, ne constitue en soi pas une infraction à la loi.

Par contre, dans certains cas il faudra une autorisation du juge des tutelles.

Il s’agit d’une procédure établie par la jurisprudence dans le cas d’une diffusion à objectif commercial ou publicitaire. Lorsque l’image revêt une valeur artistique, les règles se montrent un peu plus floues. L’exemple de la couverture du livre Perdre la tête de François-Marie Banier en fait la preuve*.

En 2007, le photographe a dû se défendre face à l’association Espace Tutelles qui l’attaquait pour atteinte à la vie privée et atteinte à la dignité humaine.

Le juge a tout simplement conclue que “[…] Attendu que dans ces conditions, en l’absence de toute atteinte à la dignité humaine, il convient de privilégier la liberté d’expression artistique sur le droit à l’image des personnes – même particulièrement vulnérables – que le photographe entend précisément défendre”.

Concrètement, la liberté d’expression artistique a primé dans cette affaire, le juge en a d’ailleurs profité pour rappeler les règles fondamentales en cette matière*.

Néanmoins, ce genre d’événements montre, qu’en droit à l’image, la licence artistique ne représente pas un blanc-seing et qu’il est toujours préférable d’obtenir l’autorisation de diffusion avant toute publication d’une image.

* lire à ce propos les 2 articles suivants : Un livre de François-Marie Banier visé par trois procès en droit à l’image – Le Monde (05 juin 2007) et La jurisprudence ne perd pas la tête – Joëlle Verbrugge Blog Droit et Photographie (29 novembre 2009).

Joomeo :

Si les personnes qu’on souhaite photographier ou filmer se trouvent dans un établissement spécialisé, peut-on se cantonner à faire sa demande d’autorisation à l’établissement lui-même ?

Joëlle Verbrugge :

Clairement NON !

Un établissement, même spécialisé, n’est absolument pas habilité à distribuer des autorisation en lieu et place des personnes qu’il héberge ou de leurs responsables légaux.

J’en profite pour rappeler que les pour les mineurs, se sont les 2 représentants légaux qui doivent donner leur accord.

Joomeo :

Peut-on sanctionner l’exploitation de l’image d’ un enfant mineur par ses parents, sur un blog ou une chaine Youtube par exemple, si le mineur dénonce la diffusion publique d’images les représentant ?

Joëlle Verbrugge :

Une personne mineure a tout à fait le droit de dénoncer l’utilisation contre son gré de son image par un tiers, même lorsque ce tiers est un parent. D’ailleurs , l’enfant peut se faire accompagner gratuitement par un avocat dans ses démarches pour faire valoir ses droits.

La question posée vise clairement les enfants influenceurs. Une loi a été publiée en octobre 2020 afin de les protéger.

Les dispositions qui s’appliquent sont celles du Code du Travail pour les mineurs de moins de 16 ans évoluant dans le mannequinat ou le monde du cirque et du spectacle.

On ajoute à ces dispositions l’obligation pour les représentants légaux d’effectuer une déclaration à l’autorité administrative pour « la diffusion de l’image d’un enfant de moins de 16 ans sur un service de plateforme de partage de vidéos, lorsque l’enfant en est le sujet principal ».

Cette déclaration est nécessaire lorsque :

  • « la durée cumulée ou le nombre de ces contenus excède, sur une période de temps donnée, un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat ;
  • la diffusion de ces contenus occasionne, au profit de la personne responsable de la réalisation, de la production ou de la diffusion de ceux-ci, des revenus directs ou indirects supérieurs à un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat ».

Ces obligations visent à encadrer au maximum l’exploitation de l’image des enfants dans un but publicitaire.

La publication de cette loi est très récente. Je pense que la majorité des parents impliqués dans ce genre d’activités n’ont jamais fait de déclaration en bonne et due forme aux autorités administratives. En conséquence, la Justice pourrait bien s’intéresser à leur cas dans l’avenir un avenir proche. Et les sanctions encourues sont très sévères.

Joomeo :

Justement, parlons-en ! Quelles sont les sanctions prévues en cas de non respect des droits à l’image d’une personne, et le simple retrait de la photo ou de la vidéo concernée suffit-elle à stopper une procédure ?

Joëlle Verbrugge :

Je réponds immédiatement à la dernière partie de la question. La jurisprudence estime qu’on peut ouvrir des droits à réparation dès que l’atteinte au droit de l’image est avérée. Cela signifie que retirer une photo ou une vidéo d’un média n’entraine pas l’arrêt de la procédure. Néanmoins, cela aura forcément une incidence sur le montant estimé des réparations.

A propos de ce montant, il faut bien comprendre qu’il n’existe pas de barème prédéfini pour l’évaluer. Il est laissé à l’appréciation du juge.

Par exemple, admettons que je ne sois pas du tout physionomiste et que, sans en être consciente, je filme Zinedine Zidane. Je suis impressionnée par la qualité de son jeu et et je décide de vendre mes photos à une société qui va en faire un usage commercial, en pensant que j’ai les autorisations nécessaires.

Evidemment, le risque est TRÈS IMPORTANT et les sanctions s’annoncent TRÈS ÉLEVÉES !

En effet, le préjudice dans ce cas est plus financier que moral dans la mesure où la vente de ces images, en dehors de toute négociation avec les agents du footballeur, constitue un réel manque à gagner pour ce dernier. Le juge calculera le montant du dédommagement sur la base estimée de ce manque à gagner. La note s’annonce très salée !

Dans le cadre d’une paparazzade plus classique, publiée dans des journaux people, on estime généralement le préjudice de façon forfaitaire à quelques milliers d’euros.

Néanmoins, là encore le contexte peut influencer le jugement et le calcul des dédommagements.

Je pense notamment à certaines personnalités, comme Francis Cabrel ou Jean-Jacques Goldman, notoirement connus pour la rigueur avec laquelle ils gèrent leur droit à l’image.

Les juges seront d’autant plus sévères avec les photographes qui transgressent le droit à l’image de personnes qui font preuve d’une attention particulière sur ce point.

A l’inverse, lorsque quelqu’un a bâti sa notoriété au travers de la publication répétée de photos ou de vidéos de sa vie quotidienne ou intime, la valeur de ses revendications quant au respect de son droit à l’image se trouvera fortement diminuée face à un juge. Ce dernier sanctionnera probablement l’infraction mais le montant du dédommagement sera sans doute très faible.

Joomeo :

Ca ressemble assez fortement à l’histoire de Spencer Elden que nous avons racontée en introduction…

Joëlle Verbrugge :

Exactement !

S’il avait porté plainte en France, on lui aurait probablement opposé un certain nombre de réflexions :

  • Êtes-vous aujourd’hui réellement reconnaissable sur le cliché ? Peu probable…
  • Comment se fait-il que vous portiez plainte aujourd’hui alors que, au cours des dernières années, vous avez tenté de profiter à plusieurs reprises de la notoriété de la photo incriminée pour faire votre propre promotion ?
  • Du fait de votre âge au moment de la prise de vue, vous étiez dans l’incapacité de donner votre consentement, mais vos parents l’ont fait en votre nom. Le photographe les a rémunérés pour cela et ils n’ont jamais dénoncé les termes du contrat.
  • L’image ne fait clairement pas la promotion de la pédopornographie, cet argument n’est pas recevable.

Joomeo :

C’est parfaitement clair !

Le droit à l’image est un sujet très vaste et dense. Merci Joëlle de nous avoir éclairci les idées en répondant une nouvelle fois à nos questions.

Nous mettons un peu plus bas dans cet article quelques références utiles pour nos lecteurs qui souhaitent se documenter pour en savoir plus.

En apprendre plus sur le sujet…

Le site de l’État français : Droit à l’image et respect de la vie privée
Le blog Droit et Photographie : La jursiprudence ne perd pas la tête
Le Monde : Un livre de François-Marie Banier visé par trois procès en droit à l’image
Le livre “Droit à l’image et droit de faire des images” de Joëlle Verbrugge, disponible aux Éditions KnowWare

Droit à l'image et droit de faire des images
Stéphan de Joomeo

Stéphan de Joomeo

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