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Droit et Photographie : La photographie d’enfants

Photographie d'enfants

La photographie d’enfants est un sujet très sensible parce qu’on approche la notion de protection des mineurs, c’est-à-dire de personnes qui n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité. En définitive, la loi se montre bien plus regardante sur la finalité de l’image et sa diffusion que sur la prise de vue elle-même.

L’histoire de Sally Mann illustre bien le sujet de la photographie d’enfants et la tension qui l’accompagne.

Pendant des années, comme tous les parents, cette photographe américaine a photographié ses enfants, tout au long de leurs vacances, dans leur maison en Virginie dans les années 80.

La jeune photographe va évidemment plus loin dans sa démarche artistique que ne le font la plupart des parents. Il en résulte une série d’images à l’ambiance étrange. Les petits bobos du quotidien prennent une dimension dramatique. Une piqûre d’insecte ou un nez qui saigne n’ont pas le même poids lorsqu’ils sont captés par l’appareil photo de Sally Mann !

Ces corps d’enfants mis en scène de façon parfois ambigüe, ces attitudes trop adultes pour des bambins… tout cela dérange. Ces photos racontent des histoires que l’on n’a pas envie de voir… Pourtant, ce ne sont que des fictions ! Mais elles sont captées dans le réel par l’œil hors du commun d’une maman photographe talentueuse, qui a les mêmes angoisses que tous les parents. C’est sa manière de les exorciser !

Dans un article passionnant publié sur le site de Slate, Julie Ackermann nous raconte comment Sally Mann a tenté pendant de nombreuses années de créer une exposition à partir de ses photos très personnelles, et comment, face à la virulence des réactions, elle a fini par y renoncer…

Alors la question se pose : qu’a-t-on le droit de faire ou non lorsqu’il s’agit de photographier des enfants ? Joëlle Verbrugge, photographe et avocate, nous apporte des éléments de réponse.

Joomeo :

Bonjour Joëlle et merci de vous prêter à notre exercice une nouvelle fois !

Comme nous le disions dans l’introduction, la photographie d’enfants, qu’on nomme aussi photographie de mineurs, est un sujet sensible. Donc avant d’aller plus loin, il parait important de bien cerner le périmètre de notre thème : de quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la photographie d’enfants ?

Joëlle Verbrugge :

La réponse est très simple ! Il s’agit de tous les cas où l’on va photographier une personne mineure. Quelle que soit la finalité de l’image.

Cela signifie évidemment que la photo d’art rentre dans le cadre de la législation sur la photo de mineur. La licence artistique ne permet pas de déroger à ces règles.

A noter, que l’âge de la majorité est de 18 ans dans de très nombreux pays mais pas dans tous, il faut donc rester vigilant sur ce point pour rester dans le cadre de la loi.

Joomeo :

Quelles sont les obligations légales auxquelles doit se soumettre un photographe s’il souhaite faire des photos de mineurs, les vendre et/ou les diffuser ?

Joëlle Verbrugge :

La première règle, c’est déjà de rester dans le cadre de ce que le statut du photographe l’autorise à faire. Par exemple, pour assurer une prestation de photographies de famille, il est nécessaire d’avoir le statut de photographe artisan… nous avons déjà parlé de cela dans une précédente vidéo à propos des différents statuts de photographe.

Ensuite, il faut se conformer à la jurisprudence pour l’utilisation de la photo.

Dans le cadre de photos artistiques, le photographe a le droit de faire les images de son choix sauf si les parents estiment que les clichés sont contraires à la dignité humaine ou que leur diffusion peut nuire à leur enfant.

S’il s’agit de photos à caractère commercial, donc servant à la promotion du photographe lui-même, il est nécessaire d’obtenir l’accord des personnes civilement responsables en amont de la séance, il s’agit le plus souvent des deux parents.

Enfin, si on parle de photos ayant pour but d’être diffusées à des fins d’information, comme l’illustration d’une actualité ou d’un article de presse, c’est la jurisprudence qui devient la référence. Il faut notamment que l’enfant photographié soit en lien avec l’information illustrée, que la diffusion de son image soit utile à l’information et qu’elle ne lui soit pas préjudiciable.

Il y a d’autres critères à prendre en compte lorsqu’on utilise l’image d’un enfant à des fins d’information. La liste n’est pas fixe et dépend du contexte de la prise de vue et de sa diffusion.

Joomeo :

Donc finalement, ce qu’on peut comprendre de ces premières réponses, c’est qu’il n’y a pas vraiment de réglementation qui s’appliquent à la photo de mineurs ?

Joëlle Verbrugge :

Non, en effet, c’est la règlementation sur le droit à l’image qui s’applique dans le cadre de la photo d’enfants. Même si on peut reconnaitre que les magistrats font souvent preuve de plus de sévérité lorsque des mineurs sont impliqués dans ce genre d’affaires.

Un artisan photographe n’a pas à obtenir l’autorisation de tous les représentants légaux pour faire les photos d’une famille. Même s’il s’agit d’une famille recomposée et que l’un des parents ou tuteur n’est pas présent ni au courant.

Par contre, encore une fois, le photographe doit obtenir l’aval de chaque responsable légal avant d’utiliser les images d’un enfant dans le cadre de sa propre publicité.

Joomeo :

Les responsables légaux sont aptes à signer les contrats visant à autoriser la diffusion des images d’un enfant. Ils le font en son nom jusqu’à sa majorité.

Une fois que l’enfant a atteint la majorité, peut-il remettre en question les termes des ces contrats ?

Joëlle Verbrugge :

Les représentants légaux portent bien leur nom puisqu’ils ne font “que” représenter l’enfant ! Ils signent les contrats en son nom, mais c’est bel et bien le mineur qui est engagé.

De ce fait, il ne peut pas résilier un contrat ou le remettre en cause le jour de sa majorité. Il doit le respecter jusqu’à son terme.

Je préconise souvent 2 choses aux photographes qui me sollicitent pour la rédaction de leurs contrats types pour des séances familiales :

  1. Ajouter une date de validité à l’autorisation d’utilisation des images par le photographe (avec une tacite reconduction). L’objectif est de permettre à l’enfant de mettre un terme à cette autorisation s’il en exprime la volonté.
  2. Solliciter la signature de l’enfant, s’il a 12 ans ou plus, de manière à l’impliquer dans la démarche. Le but est de lui faire comprendre que le photographe s’engage à respecter son image et à contrôler sa diffusion. En retour, l’adolescent signataire s’engage à respecter son travail et ses droits d’auteur de la même manière.

La signature d’un mineur n’a pas de valeur juridique. Néanmoins elle atteste d’une démarche volontaire du photographe pour la protection de l’image des enfants qu’il photographie et le respect de leur volonté.

Joomeo :

Mettre une durée de validité du contrat laisse la possibilité au mineur d’y mettre fin s’il le souhaite…

Joëlle Verbrugge :

Exactement ! Quoiqu’il en soit, il faut le faire ! Il faut mettre une date de fin à un contrat de ce type. Dans le cas contraire, il serait considéré comme un contrat à durée indéterminée. Dans les règles de droit à l’image, on peut résilier ce genre de contrat à tout moment !

Mieux vaut déterminer que le contrat prendra fin le jour des dix-huit ans de l’enfant. On peut éventuellement prévoir un renouvellement tacite tous les 2 ans ensuite par exemple. Ainsi, à partir de la date du dix-huitième anniversaire de l’enfant, si ce dernier ne se manifeste pas, l’autorisation signée par les parents en son nom sera reconduite automatiquement.

Le mineur pourra toujours demander à ce que son image ne soit plus utilisée, mais il devra le faire au terme de la période prévue par le contrat. Ainsi, l’intérêt des deux parties sera correctement protégé.

Joomeo :

Lorsqu’un photographe utilise une ou plusieurs photos d’un enfant dans un ouvrage réédité régulièrement, l’enfant devenu adulte peut-il s’opposer à l’utilisation de son image lors d’une réédition ?

Joëlle Verbrugge :

Bien évidemment oui ! Sauf dans certains cas, notamment s’il s’agit d’un ouvrage à caractère artistique.

En effet, la jurisprudence prévoit que par défaut un artiste a le droit de faire des photos et de les publier.

Les représentants légaux ou l’enfant devenu adulte peuvent lui demander de stopper la diffusion de ses images. Néanmoins, pour ce faire, ils doivent prouver que cette diffusion pourrait avoir “des conséquences d’une particulière gravité” pour l’enfant… que le préjudice subit serait réel.

Tant qu’ils ne le prouvent pas, l’utilisation de la photo à des fins artistiques ne peut être interdite.

En tout état de cause, je conseille de prévoir un contrat dès le départ. Il doit préciser que l’autorisation de diffusion de la photo concerne uniquement l’ouvrage de départ et ses rééditions futures. Bien évidemment, aucune utilisation de l’image ne saurait être faite dans le cadre d’un autre ouvrage.

Joomeo :

Merci beaucoup Joëlle pour cet échange. Il nous a permis d’y voir un peu plus clair dans le domaine de la photographie d’enfants.

Vous retrouverez plus bas quelques références qui nous ont servi à préparer cette interview. Elles vous seront probablement très utiles si vous souhaitez en apprendre encore plus à ce sujet.

Rendez-vous très bientôt pour un nouvel article dans notre rubrique Droit et Photographie. En attendant, n’hésitez pas à revoir nos précédentes vidéos :

Pour en savoir plus sur le sujet :

CHECKLIST Photographie d’enfants : droits et devoirs
La réglementation et le droit à l’image

Photo by Tanaphong Toochinda on Unsplash

Stéphan de Joomeo

Stéphan de Joomeo

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