Comment l’ont-ils découvert ? Très simplement car elle a servi à la campagne antitabac affichée sur les paquets de cigarettes vendus en Belgique !
Tout d’abord, deux points interpellent dans cette histoire :
- La photo a été prise sans le consentement du modèle.
- Cette même photo a été publiée à très grande échelle sans aucune autorisation, ni du modèle ni de ses proches.
Les néophytes en droit pourraient y voir en plus des circonstances aggravantes :
- la personne n’était pas en mesure d’accepter ou de refuser a prise de vue,
- le photographe n’a pas informé le sujet ou son entourage de cette prise de vue,
- aucune autorisation n’a été demandée pour sa diffusion,
- la photo présente le sujet comme une victime du tabagisme. Or, au moment de la prise de vue la personne était plongée dans le coma suite à des complications liées à un AVC.
- La photo présente le sujet de façon relativement dégradante.
Nous avons décidé de solliciter Joëlle Verbrugge que vous connaissez probablement. Photographe et avocate, elle devrait nous éclairer sur un sujet où les croyances sont souvent plus nombreuses que les vérités ! Parlons donc du DROIT À L’IMAGE.
Joomeo :
Bonjour Joëlle !
Cette actualité assez étonnante a soulevé un certain nombre d’interrogations et a engendré pas mal de commentaires… Premièrement a-t-on le droit de prendre des photos de quelqu’un à son insu ? D’autre part, est-ce un acte répréhensible s’il n’y a pas de publication ou de diffusion du cliché ?
Le seul fait de prendre une photo n’est jamais répréhensible. C’est la diffusion qui peut, dans certains cas, donner lieu à des difficultés voire à des condamnations.
Joëlle Verbrugge :
Joëlle Verbrugge :
Le seul fait de prendre une photo n’est jamais répréhensible. C’est la diffusion qui peut, dans certains cas, donner lieu à des difficultés voire à des condamnations.
Mais la prise de la photo, dans une société démocratique, relève de la liberté d’expression.
Les conséquences seront alors différentes selon le lieu dans lequel le photographe a pris la photo (privé ou public), et selon l’utilisation qu’il en fait (schématiquement, publicitaire, artistique ou dans un but d’information).
Joomeo :
La diffusion d’une image obtenue sans l’accord d’une personne est-elle autorisée ? On a tendance à penser que non. Pourtant les journalistes ne demandent pas nécessairement l’autorisation de diffuser leurs photos. Les victimes photographiées dans les théâtres de guerres pas exemple ne sont pas souvent sollicitées… Certaines circonstances ou certains statuts autorisent-ils, de fait, la publication de photos sans autorisation préalable des personnes présentes sur le cliché ?
Joëlle Verbrugge :
Justement, tout dépend de la finalité de l’utilisation. Pour rester très synthétique :
- Parution à des fins artistiques. C’est à la personne représentée de démontrer que la diffusion de la photo lui cause “des conséquences d’une particulière gravité”. La preuve lui incombe donc, et le principe, du côté du photographe, est celui de la liberté de photographier.
- Parution à des fins d’information. En effet, les juges ont défini au fil des décennies les limites des autorisations de publication. Il faut que la photo illustre bien l’actualité évoquée, que la personne soit concernée par cette actualité sans en être la victime, que cela ne porte pas atteinte à sa dignité etc. Bref, les critères sont nombreux.
- Enfin, pour une utilisation publicitaire, le principe est beaucoup plus simple : il faut impérativement l’accord de la personne représentée.
>>> Pour en savoir plus sur le sujet <<<
Joomeo :
Quelle est la responsabilité du diffuseur s’il diffuse des images dont il a obtenu les droits auprès d’un photographe qui, lui-même, n’a pas reçu l’autorisation de prendre les photos d’une personne… et encore moins de les vendre ?
Joëlle Verbrugge :
La première personne que le sujet de la photo va assigner sera le diffuseur. Si celui-ci estime que le photographe est responsable, il va l’appeler en garantie, c’est-à-dire le faire intervenir à la procédure. Dans ce cas, c’est le tribunal qui décide qui est responsable.
Le plus souvent c’est le diffuseur qui est condamné. En aval, il peut récupérer tout ou partie de la condamnation à charge du photographe.
Joëlle Verbrugge
A l’égard du plaignant lui-même c’est le plus souvent le diffuseur qui est condamné. En aval, il peut récupérer tout ou partie de la condamnation à charge du photographe. En définitive, tout est vraiment question de circonstances, et les tribunaux apprécient en fonction de chaque litige.
Joomeo :
Dans une fiche que vous proposez en téléchargement gratuit, vous rappelez que le droit à l’image « nait et meurt » avec la personne. Plus précisément, cette fiche évoque la notion de droit à l’image dans le contexte de l’attentat au Bataclan en 2015.
Dans le cas qui nous préoccupe ici, la personne était en vie au moment de la prise de vue mais dans l’incapacité de donner ou non son accord. Cela a-t-il une importance légalement ?
Joëlle Verbrugge :
Dans l’affaire du Bataclan, les parents avaient assigné en invoquant une disposition pénale très précise. En réalité, seule la victime pouvait utiliser cette dernière, ce qui implique qu’elle devait être vivante… c’est pourquoi cette affaire ne peut en fait pas être comparée.
Mais de façon générale, les photos d’une personne prises de son vivant et publiées après son décès n’ouvrent pas de droit à l’indemnisation de la famille. Sauf si celle-ci peut se prévaloir d’un préjudice propre. Ce que l’on nomme le « préjudice d’affliction », qui correspond à un dommage qui leur est personnel. Ce peut-être, par exemple, le fait d’avoir ravivé la douleur liée au décès de la personne.
Car en effet, le droit à l’image lui-même, qui est un droit strictement personnel, meurt avec l’individu. Les proches ne peuvent donc pas invoquer ce fondement. Que la photo ait été prise de son vivant ou même après sa mort n’a aucune incidence.
>>> Quelques ressources supplémentaires pour en savoir plus à propos du droit à l’image <<<
Joomeo :
Le fait que la photo illustre une situation bien différente de la réalité peut-il entrer en ligne de compte dans le déroulement d’un procès ?
Joëlle Verbrugge :
A mon sens oui.
Il existe une jurisprudence dans laquelle les proches d’un malade avaient perdu leur procès alors qu’une photo de ce dernier avait servi à illustrer un article sans aucune autorisation. Deux raisons expliquent le jugement rendu : d’une part, le malade était photographié de dos, d’autre part, la consommation de tabac était bien à l’origine de son décès. La Cour d’appel avait fait prévaloir l’impératif de santé publique et le droit à l’information.
Mais dans le cas de cette famille de Seraing, la maladie n’avait rien à voir avec la consommation de tabac, et le malade n’est en outre décédé que 4 ans plus tard.
Il me semble donc que ces éléments entreront en ligne de compte si une procédure intervient en Belgique.
Joomeo :
L’échelle de diffusion est-elle un élément important dans la notion de droit à l’image ? Plus précisément, dans notre cas, la diffusion a été faite à très grande échelle, cela peut-il être un fait aggravant pour le photographe ?
Joëlle Verbrugge :
Oui ça l’est, même si ce n’est pas aussi automatique qu’en matière de droit d’auteur, où les droits doivent être directement liés à l’ampleur de la diffusion puisque proportionnels aux bénéfices générés pour le diffuseur.
Pour le droit à l’image, c’est donc une variable plus subjective, mais qui entre en ligne de compte dans l’esprit des juges au moment de fixer une indemnisation forfaitaire.
Joomeo :
Cet événement est survenu en Belgique, les lois sont-elles identiques en France et en Belgique en termes de droit à l’image ? D’autre part, y a-t-il une législation au niveau européen qui traite de ce sujet ?
Joëlle Verbrugge :
Le droit à l’image est un droit classé parmi les droits de la personnalité. Ainsi les États continuent à légiférer seuls sur la question.
Par contre, il y a de la jurisprudence européenne (j’entends par là au sein du Conseil de l’Europe, chargée d’appliquer la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales) pour apprécier l’éventuelle violation de ces droits individuelles et la mettre en balance avec la liberté d’information ou la liberté d’expression.
En Belgique, le droit à l’image est sensiblement identique à celui qui existe en France, dont les décisions inspirent souvent les magistrats belges. J’ai réservé un chapitre complet de mon ouvrage aux règles applicables en Belgique. C’est un confrère belge qui l’a rédigé.
Joomeo :
Le droit à l’image est décidément un sujet passionnant et très riche !
Merci Joëlle Verbrugge de nous avoir donné quelques pistes de réflexion. Ces informations précises apporteront à nos lecteurs des réponses aux questions que tout photographe doit à se poser un jour.
Nous en profitons pour rappeler que vous venez de publier la 2e édition de votre livre Droit à l’image et droit de faire des images entièrement dédié à ce sujet… un livre indispensable !
Bonne lecture à toutes et tous !
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