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« On m’a volé une photo, que faire ? » : Joëlle Verbrugge vous répond.

Protégez vos photos

« La prévention et la négociation sont fondamentales […] autant soigner cette phase amiable, en préparant au mieux le dossier. » – Joëlle Verbrugge

Joomeo :

Bonjour Joëlle Verbrugge. Nous sommes très heureux de vous compter parmi nos fidèles utilisateurs depuis plusieurs années déjà. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?

Joëlle Verbrugge :

Bonjour,
Oui volontiers ! Je pratique la photographie depuis l’âge de 11 ans environ et à titre professionnel sous un statut d’artiste depuis 2009.

Parallèlement à cela, j’ai étudié le droit en Belgique, et j’ai pratiqué 10 ans comme avocate au Barreau de Bruxelles. Plus tard je me suis installée au Pays basque où j’exerce depuis 2001 (Barreau de Bayonne). 🙂

A partir de 2009 j’ai créé le blog “Droit & Photographie” qui a rapidement rencontré un beau succès. Preuve sans doute qu’il répondait à un besoin. De fil en aiguille, j’ai commencé à publier (articles, livres) et me voici à vous remercier de vous intéresser à mon travail ! 

Du côté photographique, je profite de l’environnement magnifique dans lequel j’ai la chance d’évoluer pour varier les sujets. Je pratique notamment la photographie sportive et je développe quelques séries sur des sujets régionaux. J’ai publié deux ouvrages : Pays basque, terre de couleurs en 2011 et Biarritz en 2014. Ce dernier est le fruit d’une collaboration avec un autre photographe, André Lamerant.

Les livres De Joëlle Verbrugge

Joomeo :

Nous suivons régulièrement votre actualité, notamment grâce à votre blog, et nous avons ainsi appris que vous avez récemment publié un livre dont le titre a attiré notre attention : Checklist On m’a volé une photo !. Que pouvez-vous nous en dire ?

Joëlle Verbrugge :

Il s’agit du 5ème ouvrage de la Collection Checklist, née en 2016.

Les ouvrages de cette collection sont tous organisés comme des livres dont vous êtes le héros. La table des matières est donc visuelle. Le lecteur se balade dans l’ouvrage en fonction des réponses qu’il donne aux questions à la fin de chaque section. Le but est donc de proposer quelque chose de pratique et un peu ludique. Les sujets juridiques rebutent bien souvent les photographes, c’est un moyen de les aider à s’y retrouver.

En ce qui concerne cet ouvrage, j’aurais pu commencer par “Il était une fois un auteur qui se rend compte que l’une de ses oeuvres a été utilisée sans son accord…”.

Bref, il commence par le constat d’un échec : le photographe n’est pas parvenu à protéger ses photos. Face à cela, je propose une méthodologie pour que la victime fasse valoir ses droits.

Je donne aussi des conseils et des outils pour permettre au photographe de détecter l’utilisation frauduleuse de ses œuvres.

Le titre du livre vise les photos. Néanmoins, tout ce qui est inclus dans l’ouvrage peut s’adapter à l’ensemble des oeuvres protégées par le droit d’auteur. A quelques détails près.

Et à partir de là, j’évoque donc toutes les questions que les auteurs peuvent se poser :

  • Que faire pour prouver mes droits ?
  • Pour prouver la contrefaçon elle-même ?
  • Quand faut-il faire un constat d’huissier ?
  • Comment chiffrer mon préjudice ?
  • Quand dois-je prendre un avocat ?
  • etc.
Les livres De Joëlle Verbrugge

Joomeo :

Vos conseils s’adressent aussi bien aux photographes professionnels qu’aux amateurs n’est-ce pas ?

Joëlle Verbrugge :

Oui tout à fait, et tout autant aux photographes qu’aux autres auteurs, comme je viens de l’indiquer. Quel que soit le type d’oeuvres. Car la reconnaissance d’un droit de propriété intellectuelle n’est pas liée à l’existence d’un statut professionnel.

Tout au plus celui-ci peut-il avoir une influence au niveau du montant de l’indemnisation, mais le fait qu’on soit amateur n’interdit absolument pas de faire valoir ses droits et d’obtenir une indemnisation.

Pour ce qui est de mes écrits en général, je m’adresse aussi très souvent aux utilisateurs d’images (agences de communication, organes de presse, entreprises en général, collectivités territoriales).

Joomeo :

Malgré votre casquette d’avocate, le moins que l’on puisse dire, c’est que vous ne poussez pas les photographes victimes d’un vol de photo à intenter des actions en justice… pourquoi ? 😉

Joëlle Verbrugge :

« Malgré » ou « A cause de »… 

Il faut garder à l’esprit qu’une action en contrefaçon dure longtemps et reste une épreuve pour celui qui l’introduit (et pas uniquement sur le plan financier).
D’autant plus depuis 2009, puisque le législateur a décidé (ce qui est à mon avis une énorme erreur) de limiter à 10 (pour tout le pays, outremer inclus !) le nombre de juridictions compétentes pour ce type de matières (en savoir plus à ce sujet). Et ce quel que soit le montant du litige.

En d’autres termes, là où dans une autre matière il pourrait saisir le tribunal d’instance (ce qui est moins coûteux), l’auteur est désormais obligé de porter son action devant l’un de ces 10 TGI… Parfois éloigné de son domicile, ce qui augmente encore les frais.

Ce qui est le plus dommage, c’est que bon nombre d’utilisateurs indélicats parient sans doute consciemment ou inconsciemment sur cet état de fait, sachant que pour des utilisations minimes, les auteurs rechigneront à faire des frais.
Et une fois l’action lancée, la vie n’est pas non plus un long fleuve tranquille.

Je ne dis pas qu’il ne faut jamais saisir les tribunaux, bien au contraire. Mais plus que jamais dans cette matière, la prévention et la négociation sont fondamentales. Et dans la mesure où il est de toute façon obligatoire, depuis 2015, de tenter une négociation amiable avant d’assigner le contrefacteur (il faudra d’ailleurs démontrer au magistrat qu’on a tenté de négocier, faute de quoi l’action ne sera pas recevable !), autant soigner cette phase amiable, en préparant au mieux le dossier.
C’est souvent un excellent moyen de parvenir à un accord.

Les livres De Joëlle Verbrugge

Joomeo :

Vous prônez très régulièrement l’apaisement, le calme et la méthodologie. N’est-ce pas difficile d’opposer du calme et de la méthode face à un vol alors que, on le sait, les photographes sont très régulièrement victimes de l’utilisation frauduleuse de leurs images ?

Joëlle Verbrugge :

Je compare aussi souvent ma profession à celle d’un médecin : si vous allez voir votre médecin avec un tracas, quelle qu’en soit la gravité, et qu’il commence à paniquer avec vous, et à s’agiter dans tous les sens pour rameuter tous ses collègues afin d’avoir 30 réponses contradictoires, quel sera votre sentiment ? Et votre confiance dans son jugement et ses capacités à vous soigner ?

C’est aussi une façon de réfléchir posément (même quand on est furax, et ça m’est arrivé aussi en tant que photographe, donc je connais parfaitement le sentiment que l’on peut ressentir) et de relativiser.

En rassemblant les éléments nécessaires (parfois dans l’urgence si nécessaire, par exemple lorsqu’il faut faire un constat d’huissier sur un événement très ponctuel) le photographe blinde son dossier… ou parfois, justement, s’aperçoit qu’il lui manque des éléments qui risquent de lui faire cruellement défaut ensuite… et prend alors plus sagement la décision d’arrêter là ou de s’en tenir à un essai de négociation mais sans imaginer une procédure ensuite, ce qui reste aussi une possibilité.

Foncer tête baissée n’est jamais à conseiller. Un dossier se construit sérieusement, car de sa qualité découleront directement les chances de trouver un accord ou, s’il y a procédure, d’obtenir une condamnation de l’adversaire.

Joomeo :

En quoi les réseaux sociaux peuvent desservir la démarche d’un photographe qui veut faire valoir ses droits face à la justice ?

Joëlle Verbrugge :

Reprenons l’analogie que je faisais dans la question précédente. Mais imaginons à présent qu’en lieu et place d’aller voir un médecin (ce qui reste votre droit le plus strict) vous alliez poser 30 questions sur 30 réseaux sociaux différents.

Vous y décrivez vos symptômes, en vous indignant sur l’injustice de la situation et en suscitant une marée de réactions plus ou moins compatissantes (et sincères), ou agressives. On vous dit par exemple que finalement, ce n’est pas grave, et que si vous êtes malade, c’est au moins la preuve que vous êtes encore en vie (transposons : “Si on t’a volé une photo, c’est que ta photo est belle, tu devrais être content !”). Ceci augmente votre sentiment d’injustice évidemment. Le ton monte, et toute votre énergie se concentre sur ces échanges.

Pendant ce temps, l’utilisateur, averti par le tam-tam des re-tweet ou des partages et des « Like », supprime tranquillement toutes les preuves de l’infraction quand c’est possible.

Une contrefaçon peut énerver prodigieusement, et impliquer d’importants préjudices financiers… c’est clair. Mais c’est rarement à la hauteur des réactions que cela suscite sur les réseaux sociaux.

Et là où j’ai sans doute bien choisi mon métier, par rapport au médecin dont j’admire le courage, c’est que les conclusions auxquelles j’aboutis sur les chances de succès d’une procédure n’engagent heureusement pas le pronostic vital du photographe…

Une contrefaçon peut énerver prodigieusement, et impliquer d’importants préjudices financiers… c’est clair. Mais c’est rarement à la hauteur des réactions que cela suscite sur les réseaux sociaux.

Les livres De Joëlle Verbrugge

Vous constatez quelque chose d’illégal ? Si vous prenez conseil, faites-le en privé auprès de personnes en qui vous avez confiance et en leur demandant la discrétion. Que vous alliez ou non consulter ensuite un avocat, gardez à l’esprit que construire proprement votre dossier en toute discrétion sera mille fois plus efficace. Sans parler des adversaires vraiment procéduriers qui vont se ruer sur les échanges tenus pour déposer plainte à leur tour pour diffamation ou dénonciation calomnieuse, s’estimant eux-mêmes victimes du déchainement de hargne de la profession dans son ensemble… le ton a vite fait de monter…

Joomeo :

Vos propos s’appliquent aussi bien dans le cadre de la photo que dans celui de bon nombre de créations artistiques. Comment est-ce possible ?

Joëlle Verbrugge :

Tout simplement parce que le Code de la propriété intellectuelle protège de nombreuses oeuvres. Une liste en est donnée par le Code ici.

Les limites précises sont fixées par la jurisprudence au fil du temps. La photo a d’ailleurs été rajoutée à la liste bien après l’adoption initiale du Code de la propriété intellectuelle
Donc dans la pratique, même si des détails peuvent varier d’un type de création à l’autre, les grandes étapes d’un conflit lié à la contrefaçon seront toujours identiques.

Joomeo :

Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil aux photographes qui veulent protéger leurs créations, quel serait-il ?

Joëlle Verbrugge :

Soyez prévoyants !
Il est BEAUCOUP moins cher de faire rédiger un contrat à proposer en amont à vos contacts que de régler un litige en aval. Or, bon nombre de litiges arrivent dans un contexte contractuel… le fameux “échange de bons procédés” que chacun a compris de bonne foi de façon différente (au minimum), ou dans lequel votre interlocuteur a trop tiré sur la corde.

Le contrat rédigé en amont permet aussi d’éduquer, outre le fait qu’il constitue un filet de secours.

Et pour tout ce qui concerne les contrefaçons par des personnes avec qui vous n’avez jamais eu de rapport contractuel, il n’y a certes pas de solution miracle. Evitez de publier des photographies en haute définition à des endroits où leur récupération est trop facile. Partez-vous en vacances en laissant votre maison ouverte ? Et en fléchant tout le quartier pour indiquer aux cambrioleurs où se trouve une maison remplie de richesses en libre service ?

Il n’est pas indispensable d’illustrer votre site ou votre blog avec une HD à 5000 px de côté… Votre contrefacteur pourra l’utiliser sur un 4×3 m plutôt qu’en vignette sur son site…

Il n’est pas indispensable d’illustrer votre site ou votre blog avec une HD à 5000 px de côté… Votre contrefacteur pourra l’utiliser sur un 4×3 m plutôt qu’en vignette sur son site…

Remplissez vos champs IPTC au maximum… cela n’empêche bien sûr pas l’utilisation illégale. Mais dans ce cas, ça constituera un argument supplémentaire : “Monsieur le juge, voici comment les photos sont publiées sur le site de mon client. Toutes les informations sont présentes, non seulement SUR la photo (watermark discret) mais aussi DANS le fichier. Et voici ce qu’a dû faire l’utilisateur pour supprimer tout cela afin d’essayer de passer inaperçu !”
Les juges n’aiment pas du tout cela…

Alors tant qu’à agir, autant se fournir soi-même des arguments. On n’est jamais mieux servi que par soi-même !

Joomeo :

Merci beaucoup Joëlle pour cet échange riche d’enseignements !
Pour tous ceux et celles qui souhaitent en savoir plus sur ce sujet ou qui sont confrontés au problème des photos volées, voici le lien vers l’éditeur de notre auteure pour vous procurer son (ou ses livres) facilement : Checklist On m’a volé une photo ! de Joëlle Verbrugge – 29 bis Editions

Retrouvez notre photographe sur…

son site internet : Droit et photographie – Joëlle Verbrugge
sa page Facebook : Droit et photographie – Facebook
son compte Twitter : Joëlle Verbrugge – Twitter

Yann - Reporter

Yann - Reporter

Le gourou de l'actu chez Joomeo ! Il parcourt le web pour vous faire profiter de toutes les infos en lien avec la photo, le cloud etc. C'est aussi lui qui s'occupe des interviews avec les photographes de Joomeo.

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